Personnalités d’exception / Témoignages
Madeline DIENER, Plasticienne, 1930-2000.
Beaux-Arts de Lausanne
J’ai rencontré Madeline, en 1977, par le biais de l’association des parents d’élèves (APEL) de l’Institution Sainte-Marie d’Antony (Hauts-de-Seine) au sein de laquelle elle avait constitué un petit groupe de mamans autour de l’apprentissage du dessin et de la peinture. Nous étions environ une dizaine à nous réunir autour d’une personnalité hors du commun.
Elle était habitée d’une profonde spiritualité qui éclairait de tendresse le regard émerveillé qu’elle portait sur toute la Création, essayant de saisir un trait, une couleur, un relief , une ombre, s’imprégnant de ses découvertes pour réaliser ses œuvres d’art.
Elle travaillait tous les matériaux avec délice et patience. A une époque où par modernité, les tableaux, les statues, les chemins de Croix, étaient décrochés dans les églises et chapelles pour faire place à des décorations dépouillées, Madeline avait trouvé là, matière à développer son activité artistique en créant des tapisseries, des autels, des bas-reliefs en bronze, des fresques, des sculptures en bois, en pierre enfin tout ce qui donnait vie à un lieu sacré.
Dans l’ouvrage que Marie-Jeanne COLONI * et Mgr Henri SALINA ont consacré à Madeline : MADELINE DIENER aux éditions ad solem, collection Venator Formae , le lecteur se rend compte de son inlassable activité par le nombre impressionnant d’œuvres qu’elle a laissées dans les monastères, abbayes, chapelles, églises en Suisse, en Italie, en France et dans notre belle cathédrale Notre Dame à Paris où la chapelle, contenant un autel de sa facture, a résisté aux flammes de l’incendie en 2019. (voir ci-dessous la réponse de Mgr Michel AUPETIT que j’ai questionné sur l’incendie de N.D. de Paris)
france-amities.fr/…/lettre-Mgr-Aupetit-N.D.-Paris.pdf
Lors de ces séances, elle conseillait chacune d’entre nous afin que nous dégagions le meilleur de nous-même à chaque atelier. Il ressortait alors une profusion de styles, de couleurs. Pour un même thème, il était très intéressant de voir comment chacune l’interprétait à sa façon. C’est à l’occasion de la peinture d’une nature morte que Madeline m’a révélé un secret.
J’avais quelques difficultés à peindre la légèreté d’un feuillage, elle m’a donné un conseil qui a changé mon regard sur les choses et aussi sur les gens.
« tu observes avec intensité jusqu’à transpercer, jusqu’à pénétrer à l’intérieur de la matière et quand tu vois les couleurs miroiter, tu peux peindre ce que tu perçois« m’a t-elle dit. C’était très subjectif car lié aux émotions mais à cet instant, Madeline m’avait tout appris .
A son cours, j’ai donc réalisé un tableau d’étude « CARLINE » qui se trouve exposé dans la galerie virtuelle du site. CARLINE a été choisie, 40 ans après, par mon ami Guy Péricard pour écrire un poème qu’il présente dans l’atelier d’écriture SCRIPTARTMONIE ci-dessous
A notre arrivée à Antony dans les Hauts-de-Seine, en 1977 , le quartier du centre , du côté de l’église St Saturnin, était vieillot. Les murs des bâtisses étaient recouverts de plusieurs couches d’affiches aussi repoussantes de saleté les unes que les autres. Aux élections municipales qui ont suivi de très peu notre installation, le renouveau s’est annoncé.
Toutes les vieilles maisons ont été abattues montrant à ciel ouvert de magnifiques poutres de chêne qui allaient partir à la décharge. J’ai commandé à Madeline une vierge à l’enfant dans ce noble matériau. Elle s’est arrangée pour s’en faire livrer quelques tronçons dans lesquels elle a réalisé plusieurs sculptures dont celle-ci que nous lui avons achetée.
Hauteur 65cm, largeur 35cm, profondeur 35cm. Poids 40kg .
Pour donner l’aspect vieilli à l’ensemble, Madeline a demandé l’aide d’un menuisier qui a scié la poutre, à la moitié, dans le sens de la longueur et qui a recollé les 2 parties extérieures qui sont devenues le cœur de la sculpture. Cela a permis d’assainir le bois et de le traiter naturellement anti parasites par quelques mois sous emballage hermétique, une bonne cire d’abeille faisant le reste.
Madeline sachant que j’étais cadre dans le scoutisme me demanda de venir l’aider à Massy-Palaiseau où elle proposait un atelier de peinture dans les locaux des Allocations Familiales afin d’offrir une activité culturelle à des jeunes désœuvrés. C’est Marie-Jeanne COLONI* qui dirigeait une association d’animateurs de rues à Massy qui lui avait trouvé cette activité. Les jeunes venaient plus ou moins nombreux et plus ou moins intéressés par la peinture et trouvaient auprès de Madeline une oreille compatissante en plus d’une conseillère technique de leur expression artistique . Mes enfants m’accompagnaient pour cette activité qui s’est révélée très enrichissante. Madeline était très à l’aise avec les enfants mais aussi avec les jeunes ados qui revenaient volontiers lui serrer la main et donner de leurs nouvelles.
Ce climat de confiance profitait , dans le quartier, à un maintien fragile de tranquillité. C’est comme cela que nous avons rencontré M… qui devait avoir 13 ou 14 ans. Madeline me disant que c’était une gentille fille qui venait à son cours régulièrement et qui s’était ouverte, à elle, de ses problèmes en famille.
M. devint copine de ma fille Nathalie, toutes deux étaient inséparables. Nous sommes convenus avec Madeline de faire quelque chose pour que M. puisse changer d’air pendant l’été et passer quelques jours avec nous en camp scout, un sponsor lui assurant le matériel de camping. M. était partante et enthousiaste à cette idée. Toutes les deux , Madeline et moi, aidées par Marie-Jeanne, avons essayé de convaincre les parents de donner leur autorisation pour que leur fille se joigne à notre petit groupe en toute simplicité. Entre la maman, fort sympathique au demeurant, qui ne voulait pas signer sans l’avis de son mari et le mari, la moitié du temps au travail et l’autre moitié à cuver son vin, ce fut un échec cuisant dont la fille fut encore une petite victime car M… ne revint plus aux cours de peinture. Madeline fut très attristée par cet échec qui coïncidait avec des problèmes que Marie-Jeanne avait sur le terrain avec des animateurs de son association qui refusaient de rendre des comptes sur leur activité. Marie-Jeanne ne pouvait pas, dans ces conditions, faire de bilan annuel et ne pouvait donc pas obtenir de subventions. Ça c’est très mal terminé pour les animateurs et les activités des Allocations familiales ont gravement souffert des mouvements sociaux qui se sont développés dans les immenses barres de logements H.L.M. de cette cité populaire et Madeline a dû arrêter cette activité à ce moment là.
Nous étions en 1981, à cette époque Madeline commençait a être très occupée par des chantiers en Suisse et l’on se voyait moins souvent. Un été, alors que nous étions en vacances à Chamonix , nous avons profité de cette proximité pour aller la voir dans son atelier du canton de Vaud . Elle y avait accumulé un trésor.
Des milliers d’éclats de marbre, de toutes couleurs, de toutes provenances, de toutes formes, classés méthodiquement pour réaliser de magnifiques mosaïques en relief dont on peut trouver les photos dans l’ouvrage que Marie-Jeanne a réalisé après le décès de Madeline.
En 1986, j’ai déménagé en famille en Touraine et nous ne nous sommes pas revues, continuant seulement à correspondre au nouvel an. C’est en 2000 que Madeline, répondant tardivement à mes vœux, m’apprit sa maladie dans une correspondance où elle m’ informait aussi de ses derniers chantiers comme si elle rédigeait un testament pour la postérité.
Je garde cette lettre comme une relique. Madeline p1 Madeline p2
* Marie-Jeanne COLONI 1927-2019. Chevalier de l’Ordre national du Mérite.
Fondatrice du service pédagogique de N.D. de Paris et animatrice de ce même service.
Saint-Cyr-sur-Loire le 10 janvier 2021
Francine HOVASSE